Pour une dématérialisation choisie, ou comment l’administration prend en compte les paradoxes de la dématérialisation

Publié le vendredi 19 août 2022 | DINUM

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    • Dématérialisation

La direction interministérielle du numérique organisait son 3e Café Transfo autour de la thématique « Pour une dématérialisation choisie », fin avril 2022. L’occasion pour les intervenants et le public composé d’agents de l’État d’interroger les solutions mises en œuvre par l’administration pour accompagner la numérisation croissante des démarches en ligne et dessiner, collectivement, les contours d’une administration numérique plus proche des usagers et qui ne laisse personne au bord du chemin.

Retour sur les principaux enseignements et pistes de réflexion évoquées afin de limiter la fracture numérique et garantir l’égal accès de toutes et tous à l’ensemble des services publics.

1. Un constat partagé : le numérique facilite autant qu’il peut exclure

  • La dématérialisation des démarches présente de nombreux atouts. Elle permet de simplifier la relation entre l'usager et l'administration, évite au citoyen de se déplacer à un guichet d’accueil physique et donne accès à des services nouveaux plus efficaces et plus performants.

  • Le manque ou l’absence de services en ligne limite l'accès aux droits. Par exemple, à Mayotte où il n’y a pas de simulateur de droits CAF et de téléprocédure, on constate que les usagers sont moins enclins à recourir à leurs droits car ils n’en mesurent pas pleinement les bénéfices. La population se déplace vers des guichets physiques sur des longues distances en voiture. Dans ce cas, l’absence de dématérialisation est un frein à l’accès aux droits. sur des longues distances en voiture. Dans ce cas, l’absence de dématérialisation est un frein à l’accès aux droits.

  • Pour autant, comme en témoigne le rapport du Défenseur des droits, la dématérialisation peut aussi entraver l’accès aux droits pour ceux qui ne réussissent pas à réaliser leurs démarches en ligne. Sont concernées les personnes âgées mais aussi les jeunes, faussement considérés comme à l’aise avec le numérique et en partie les personnes en situation de handicap. La dématérialisation renforce ici la précarité de populations déjà vulnérables.

  • En France, 13 millions de personnes se trouvent éloignées du numérique et 1 Français sur 2 estime manquer d’une compétence numérique de base. Cette fracture numérique se retrouve surtout dans les territoires puisque 50% des non-internautes résident dans des communes de moins de 20 000 habitants. C’est le marqueur d’un numérique qui produit une forme d’exclusion.

Ainsi voit-on à quel point la dématérialisation est paradoxale et nourrit une double dynamique entre ceux qui la subissent et ceux qui la choisissent.

2. L’administration agit contre les risques engendrés par la dématérialisation

La prise de conscience par les pouvoirs publics des difficultés des usagers face à l'administration numérique est réelle, particulièrement lorsque la cible est de dématérialiser 100% des 250 démarches de l'État les plus utilisées par les Français.

  • En ce qui concerne le Revenu de Solidarité Active (RSA), bien qu’un quart des usagers effectuent leurs démarches sur smartphone, l’administration s’intéresse au tiers des ayant-droits qui ne veulent ou ne peuvent pas réaliser en ligne leurs démarches.

L’enjeu, aujourd’hui, est donc de bâtir des services numériques adaptés pour un maximum de personnes tout en s’assurant que des alternatives omnicanales soient mises en place.

Néanmoins, cette approche omnicanale ne permet pas d’adresser les besoins de tous les publics. Avec 17% de la population souffrant d’illectronisme, il est difficilement possible de concevoir des services utilisés de manière autonome par 100% de la population et un accompagnement spécifique demeurera nécessaire.

  • Avec le dispositif Aidants Connect, les usagers se font aider « par procuration » par un aidant professionnel dont le travail est facilité par ce dispositif qui sécurise et encadre le « faire pour le compte de ».

3. L’importance de l’équipement, de la formation des professionnels de l’accompagnement et des aidants informels

Les difficultés issues de la dématérialisation peuvent apparaître liées à un manque d’équipements numériques, mais aussi à un manque de compétences qui nécessitent un accompagnement par un professionnel ou de manière informelle.

L’équipement numérique

15% des Français n'ont pas accès à Internet à leur domicile, faute d'équipement, d'abonnement ou de réseau. Penser l’accès aux équipements reste donc un prérequis pour réduire la fracture numérique, comme illustré durant le Café.

  • L’association Emmaüs Connect propose, par exemple, des équipements reconditionnés (PC, téléphones…) ainsi que des accès 4G, des recharges téléphoniques à prix solidaire aux publics pour lesquels l’abonnement numérique demeure encore inaccessible.

L’association est particulièrement active dans l'accompagnement de ces populations, sans pour autant « faire à la place de » et rappelle qu’il faut en moyenne 20 heures pour amener un bénéficiaire à un début d’autonomie sur l’usage de l’ordinateur/téléphone, et pour effectuer des démarches administratives en ligne.

  • L’accès au numérique est différent de l’autonomie numérique, il cherche à éviter de mettre en distance l’usager et ainsi poursuivre son accompagnement par un agent, tout du moins lui donner la possibilité de le faire.

La formation des professionnels de l’accompagnement

Les échanges mettent en avant l'effort continu de formation des professionnels qui accompagnent les usagers dans leurs démarches administratives, au sein des Maisons France Services ou dans des structures spécialisées. Ils représentent des appuis essentiels à la réduction de la fracture numérique.

Les échanges révèlent que ces accompagnants, en lien direct avec les usagers, doivent parfois eux-mêmes être accompagnés sur leur bonne appropriation du numérique et des démarches en ligne. Nombreux considèrent, en effet, le numérique comme un frein à leur activité dans la mesure où il limite le temps de contact et d’échange « humain » avec l’usager qui prévalait avant la dématérialisation. L’accompagnement au changement est une question particulièrement sensible pour les travailleurs sociaux qui peuvent avoir des pratiques professionnelles ancrées que le numérique tendrait à modifier.

En ce sens, 4000 conseillers numériques ont été déployés dans les Maisons France Services dans le cadre du Plan de relance. Formés et rémunérés par l’agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), ils ont pour mission d’appuyer les usagers dans leurs démarches administratives en ligne et de les accompagner dans leur autonomie numérique.

Le rôle des aidants numériques informels

Selon une étude Ipsos pour Emmaüs Connect, sur 1000 Français interrogés, 56% déclarent avoir apporté leur aide au moins une fois à un proche au cours des 12 derniers mois dans le domaine du numérique. L’importance de l'action des aidants numériques informels dans la réduction de la fracture numérique est mise en avant.


Par ailleurs, il est mis en avant l'accompagnement de ces aidants nécessaire de les aider davantage à orienter les usagers vers des structures qui pourront les accompagner dans la durée à travers un programme pédagogique dédié, pour réussir in fine à rendre l’usager autonome dans la réalisation de ses démarches en ligne.

4. Repenser la relation à l’usager dans l’administration numérique d’aujourd’hui et de demain

Les dispositifs actuels qui fonctionnent bien

De manière générale, l’administration prend l’habitude de repenser sa relation avec l’usager en considérant le numérique et son environnement. La question de l’utilité d’une démarche, tout comme l’ajout d’une fonctionnalité ou d’une demande de justificatif, ou encore d’une formulation de texte doit être posée en permanence par les administrations.

  • La recherche utilisateur est un atout précieux à ce titre. Elle consiste à placer l’utilisateur d’une démarche au centre de la conception d’un service numérique et mérite d’être davantage prise en compte dans les administrations. La DINUM et la DITP ont toutes deux les compétences et l’habitude d’aider des projets des administrations à travers la recherche utilisateur.

  • Connaître la perception des usagers sur des démarches en ligne permet aux administrations de renforcer la qualité et l’accessibilité des démarches. C’est la raison d’être de l’Observatoire de la qualité des démarches et l’objet du bouton « Je donne mon avis » apposé en fin de démarche, mais aussi de la plateforme Service Publics + qui permet aux citoyens de raconter leur expérience usager.

  • L’enjeu est maintenant de développer les outils et ressources proposés aux administrations pour les aider à monter en compétences en matière de design de services numériques, et ainsi augmenter drastiquement le nombre de services publics numériques de qualité et accessibles à tous. C’est justement l’une des missions du pôle Design des services numériques de la DINUM.

  • Le système de design de l’État (mené par le service d’information du Gouvernement), déployé depuis septembre 2021, harmonise l’ergonomie des sites de l’État et assure ainsi une meilleure lisibilité des sites étatiques pour les citoyens.

Les promesses de l’administration proactive

Le concept d’« administration proactive » consiste à inverser la dynamique en ayant une administration qui « se déplace vers » l’usager : elle l’informe, elle anticipe une partie de ses besoins, voire elle lui attribue automatiquement une prestation. C’est une forme de lutte contre le non-recours aux droits et de réduction de la fracture numérique. Cette administration proactive et son volet social, est un programme porté par la DINUM.

Le chantier « solidarité à la source » annoncé par le Président de la République est le chantier emblématique de ce programme administration proactive. Son objectif est que les aides sociales (RSA, prime d’activité…) auxquelles les citoyens sont éligibles leur soient versées automatiquement, sans qu’ils aient à en faire la demande. Une ambition de taille, portée notamment par la volonté d’alléger la charge des démarches en ligne pour les usagers, notamment ceux les plus vulnérables.

Nous sommes à votre écoute !

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Les Cafés Transfo sont un événement organisé par la DINUM, et ont pour objectifs la mobilisation de l'intelligence collective et la diffusion de bonnes pratiques en matière de transformation numérique. Exclusivement destinés aux décideurs publics qui se sentent concernés par les grands enjeux du numérique, ces rendez-vous se veulent être un lieu de partage et d’échanges collaboratifs réguliers.

Lire aussi le compte-rendu du 2e Café Transfo